Loi relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire

Le Parlement a définitivement adopté le 9 avril dernier le projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.

Le groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) du Sénat s’est fortement opposé à ce projet de loi qui fusionne dans un organisme intégré d’une part l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) actuellement chargé de délivrer une expertise technique indépendante et de mener des missions de recherche et d’autre part l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui est chargée d’instruire et d’autoriser les projets d’installations nucléaires de base ainsi que leur prolongation et de contrôler le respect des normes en matière de sûreté nucléaire.

Pour les sénateurs socialistes, le projet de création, au 1er janvier 2025, d’une nouvelle structure au statut d’Autorité administrative indépendante (AII) devant mêler à la fois l’expertise scientifique, l’inspection et la décision ne parait pas, à bien des égards, ni opportun, ni utile.

  • Sur la méthode : passage en force et débat confisqué sur l’opportunité de la réforme

Ce n’est donc pas par principe que le groupe socialiste, écologiste et républicain s’est opposé à ce texte.

Au contraire, il estime tout à fait légitime la volonté de questionner, de réexaminer les dispositifs actuels de gouvernance de la sûreté nucléaire civile en France, notamment dans un contexte inédit de relance du nucléaire.

Mais il considère qu’avant de proposer une réorganisation aussi profonde de notre système actuel de gouvernance, il était nécessaire de dresser un diagnostic de ses forces et de ses faiblesses, propre à démonter la nécessité d’une telle réforme.

On attendait précisément de l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (OPECST) qu’il établisse un tel état des lieux des forces et des faiblesses de notre modèle de gouvernance de la sûreté nucléaire et qu’il propose, le cas échéant, des solutions pour en améliorer son fonctionnement, y compris des solutions alternatives à la seule fusion de l’ASN et de l’IRSN.

Cela n’a pas été le cas.

Et le rapport aura moins contribué à alimenter le débat scientifique et démocratique, qu’à valider la réforme du gouvernement que ce dernier avait déjà tenté d’imposer par voie d’amendements lors de l’examen d’un autre projet de loi sur le nucléaire en février 2023.

L’étude d’impact du projet de loi et son exposé des motifs ne permettent pas non plus d’apprécier les réels progrès qu’apporterait la nouvelle organisation fondée sur une seule entité.

Autrement dit, la démonstration factuelle et objective du bien‑fondé de la réforme proposée n’a pas été réalisée. En réalité, une réforme aussi profonde de notre système de gouvernance de la sûreté nucléaire aurait mérité une évaluation contradictoire et pluraliste.

  • Des risques majeurs de déstabilisation, de perte d’indépendance de l’expertise, de dégradation de la qualité de la transparence et de l’information au public, et in fine de détérioration de la confiance

Les parties prenantes et de nombreux organismes consultés sur le projet ont émis des doutes, des réserves et des critiques sur la réforme proposée.

Les membres du conseil national de la transition écologique (CNTE) se sont inquiétés du « risque d’instabilité induit par une modification du dispositif existant alors que le secteur est en pleine expansion » et demandé des « garanties supplémentaires » afin que le collège de la future autorité ne s’ingère pas dans l’expertise.

La complexité de cette réforme a été soulignée par la Cour des comptes, par le Conseil d’État ou même par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. La plupart des organismes consultés sur le projet de loi et les parties prenantes (HCTISN, cnDAspe, ANCCLI, CNTE, intersyndicale de l’IRSN, organisation syndicale représentative des salariés de l’ASN…) ont émis de fortes réserves sur ce projet de fusion de l’ASN et de l’IRSN.

L’organisation actuelle garantissait la séparation entre expertise réalisée par l’IRSN et les décisions prises par l’ASN. L’efficacité de cette gouvernance duale étant précisément fondée sur le fait que non seulement la décision ne reposait pas sur l’organisme qui fait l’expertise (indépendance) mais aussi sur la reconnaissance de l’importance de la recherche, déterminant majeur de la qualité de l’expertise.

Si, par rapport au texte initial du gouvernement, certains garde-fous ont été introduits par l’Assemblée nationale et le Sénat pour tenter de mieux garantir la séparation entre l’expertise et la décision (distinction entre, d’une part, la personne responsable de l’expertise et, d’autre part, la personne responsable de la décision), il n’en demeure pas moins que l’expertise technique, l’inspection et la décision sont fusionnées au sein d’une même autorité et que cette fusion acte le démantèlement de l’IRSN et la perte d’indépendance de l’appui technique vis-à-vis du décideur.

Quid de la recherche publique qui a fait la force du système actuel de gouvernance de la sûreté fondée sur une expertise indépendante ? Ne sera-t-elle pas condamnée à terme à répondre à des commandes plus ciblées sur les besoins du contrôle ?

Quoiqu’il en soit, absorbé dans la nouvelle structure indépendante, le pôle expertise / recherche risque particulièrement de pâtir de la fusion.

Et quid de la transparence et de l’accès à l’information alors que l’IRSN participait activement à l’information du public en rendant publics tous ses rapports et avis. Ce rôle désormais dévolu à une seule autorité d’expertise, de contrôle et de décision ne risque-t-il pas d’être affaibli et avec lui in fine, la confiance du public, détériorée ?

Les parties prenantes et de nombreux experts ont, en tout cas, pointé du doigts les multiples incohérences de cette réforme et les risques déstabilisants qu’elle faisait inévitablement peser sur l’organisation de la gouvernance de notre sûreté nucléaire (divorce de l’expertise en sécurité et de l’expertise en sûreté, scission entre l’expertise en dosimétrie interne et l’expertise en dosimétrie externe, perte d’indépendance de l’appui technique vis-à-vis du décideur, délitement de la recherche et de l’expertise scientifique des risques désormais subordonnée au processus d’instruction réglementaire …).

  • Risque humain et désorganisation sociale

A cela s’ajoute le fait que cette fusion source d’inquiétudes, est particulièrement anxiogène pour l’ensemble des salariés concernés – aussi bien ceux de l’IRSN que ceux de l’ASN– alors que les nouveaux chantiers à venir devront mobiliser plus encore aujourd’hui qu’hier leur compétence et leur disponibilité. Dans un déni de démocratie, ces salariés n’ont pas été associés en amont à ce projet de réforme.

Ce ne sont pourtant pas moins de 1 600 salariés de l’IRSN qui devront intégrer la nouvelle autorité administrative indépendante.

Que dire des 500 salariés de l’ASN majoritairement fonctionnaires? Cette réforme ne conduira-t-elle pas à terme à l’évincement progressif des agents au statut de fonctionnaire d’État, statut pourtant indispensable à l’exercice des missions régaliennes dans un domaine aussi sensible que le nucléaire ?

La désorganisation inhérente à toute fusion et au choc des cultures d’entreprises qu’elle induit risque d’accentuer encore la fuite des compétences et le départ de salariés peu enclins à subir, dans un contexte inédit de relance du nucléaire, une remise en cause de l’organisation et des procédures de travail, des accords sociaux, des outils techniques et de gestion, etc…

Dans un tel contexte, les salariés ont besoin de stabilité plutôt que de devoir affronter dans des délais contraints des bouleversement de grande ampleur de leur organisation.

Loin de fluidifier la gouvernance et de réduire les délais des processus d’expertise, d’autorisation et de contrôle, le groupe SER craint une désorganisation des collectifs de travail, un démobilisation des salariés, une perte d’attractivité des métiers dans un contexte de tensions sur la main-d’œuvre dans ce secteur.

De ce point de vue le choix d’engager cette réorganisation dans cette période de relance du nucléaire paraît encore plus risqué.

  • Rejet d’une réforme proposée par le gouvernement au mauvais moment et sans preuve d’une meilleure performance et droit de vigilance du groupe socialiste, écologiste et républicain sur les suites

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, écologiste et républicain s’est frontalement opposé à cette réorganisation à marche forcée de la gouvernance de la sûreté nucléaire en déposant d’entrée de jeu une motion de rejet du projet de loi en commission afin de ne pas poursuivre son examen.

En séance, il a de nouveau déposé une motion de procédure visant à stopper l’examen du texte. Cette motion, comme les nombreux amendements déposés ensuite par le groupe SER pour tenter, autant que faire se peut, de poser des garde-fous limitant les conséquences négatives de cette réforme, ont tous été rejetés.

Malgré la mobilisation du groupe socialiste, écologiste et républicain et de celle de l’ensemble des groupes de gauche du Sénat, le projet de loi a été adopté grâce à la majorité sénatoriale de droite. Cette réforme de notre système de gouvernance de la sûreté nucléaire n’aura donc pas fait l’objet d’un consensus au Parlement, révélant ainsi toute la fragilité des choix politiques du gouvernement sur un sujet aussi crucial.

Il n’en demeure pas moins que le groupe socialiste, écologiste et républicain sera particulièrement vigilant sur la mise en œuvre de cette réforme et suivra avec attention les moments clés et clauses de revoyure inscrits dans la loi :

  • Remise par le gouvernement au plus tard le 1er juillet 2024 d’un rapport à l’OPECST faisant état de l’avancée des travaux préparatoires à la création de l’ASNR ;
  • Remise au plus tard le 1er juillet 2025 par l’ASNR à l’OPECST d’un premier rapport dressant un bilan de sa création et de la mise en œuvre de la réforme ;
  • Remise à l’OPECST par l’ASNR d’un second rapport sur le même sujet au plus tard le 1er juillet 2026.